Episode 2 : Bangui mon retour aux sources

Poser des mots pour vous raconter mon séjour à Bangui s’est avéré compliquer. J’ai vu et entendu beaucoup de choses dont je suis dans l’incapacité d’accepter. Que ce soit pour l’atelier de couture, l’établissement scolaire que j’ai visité ou la place de la femme dans la société…

Admettre l’existence, est une chose, l’accepter, en est une autre. J’y reviendrai en détails dans « Épisode 3 : Bangui, mon retour aux sources » le troisième et dernier épisode que vous pourrez lire à la suite de celui-ci.

Je suis une très mauvaise touriste, je préfère vivre l’instant présent plutôt que prendre des photos. C’est pourquoi, cet article n’aura pas beaucoup de photos pour illustrer mes propos.

Un début de séjour à Bangui laborieux

J’allais souvent au village jusqu’à mes 4 ans et demi, je faisait la sieste sur un kounja (pas certaine de l’orthographe, c’est un tapis tressé avec un fil en nylon, type scoubidou) à même le sol en dessous d’un manguier et j’en garde de très bons souvenirs.

D’ailleurs, je me souviens qu’on jouait avec mon grand-frère et les enfants du village dans la savane. Mes poupées, c’était de l’herbe arrachée, plus les racines étaient longues plus elles avaient de longs cheveux !! Et du coup, pour faire des tresses, c’était génial. Quand nous sommes arrivées en France, j’avais tenté de les reproduire et ma déception était tellement grande… Les racines sont minuscules, ça ne valait pas le coup.

Bref… Pour en revenir à ma péripétie banguissoise, c’est pour dire que je peux dormir n’importe où, même au clair de lune s’il le faut.

J’ai galéré pour la réservation d’un hôtel à Bangui, à chaque fois que j’appelai soit l’interlocuteur m’entendait mal, soit on me demandait de rappeler plus tard. Le souci, c’est que les appels sont surtaxés. J’ai tenté les mails, je n’ai jamais eu de réponse donc je me suis rabattue sur le peu d’hôtels avec la possibilité de réserver en ligne.

L’hôtel que j’ai choisi, avait un service de très bonne qualité, vraiment, un personnel au top. Mais… Il  n’y avait pas d’eau chaude. Soit, je m’en accommode ce n’est pas la fin du monde. Si vraiment j’ai besoin, je demande à faire bouillir de l’eau. Cependant, il est important de noter que je peux vivre avec peu de choses, mais pas sans un minimum de contact avec ma famille. Ça devient très très vite compliqué pour moi.

Pour vous donner un ordre d’idée, je refuse de quitter Grenoble à cause de ça, alors que Lyon serait plus adapté professionnellement. Je vis à 30 min de chez ma mère et à 15 min de mon frère en transport en commun. Quasiment tous les mercredis soir, on se retrouve chez la maman avec les enfants. Et on s’appelle minimum une fois par jour.

Le réseau à Bangui, ce n’est pas encore la fibre et encore moins la 4G !

C’était le retour à l’époque des années 2000, j’ai tenté à plusieurs reprises d’appeler ma mère via WhatsApp et ça ne passait pas même avec le wifi de l’hôtel ! Ça ne faisait que couper. La première nuit, j’étais tellement épuisée émotionnellement que je me suis endormie comme une souche.

Chouia na mambéré

Viande de boeuf et chikwangue

La première journée se passe bien, je demande à Bertrand qu’on aille manger du chouia (viande de boeuf, de poulet ou de chèvre braisé) et faire quelques courses histoire de… Je communique uniquement par message avec ma mère et mon équipe qui ignore où je me trouve précisément.

J’ai des visios de programmées dans les prochains jours avec des clients donc je demande à Bertrand qu’on aille se renseigner sur les tarifs d’autres hôtels dont il a la certitude qu’ils disposent d’un wifi digne de ce nom. Les tarifs sont multiplié par 2, vis-à-vis de mon budget initial. Je me suis dis :

« Allé, tiens le coup, au pire annules les visios, ce n’est pas si long que ça 2 semaines. « 

Que nenni ! Arrivée la deuxième nuit, c’est simple, je suis partie dans un bad mood complet ! En y repensant, ça me fait rire à en pleurer tellement ça me semble ridicule maintenant. Néanmoins sur le moment, je n’étais vraiment pas bien.

J’ai dû passer 2h à pleurer dans mon lit en PLS, à inonder ma mère de message qui essayait de me calmer tant bien que mal en m’incitant à aller me coucher et changer d’hôtel le lendemain. Pour peut-être avoir un wifi de meilleure qualité, enfin pouvoir lui parler et surtout faire une visio pour voir ma fille. J’avais besoin de voir mon bébé !

Le lendemain matin, je suis partie pour l’hôtel Quatre Saisons parce que j’avais bien accroché avec le jeune homme à l’accueil et aussi parce qu’il m’a permis de visiter une des chambres lorsque j’étais venu me renseigner la veille. Ce qui m’a fait passé d’une chambre à 34 022 FRCFA (~52 €) à 68 000 FRCFA (104 €). J’avais l’impression d’avoir des goûts de luxe, alors que ce n’est pas du tout dans mes habitudes.

À noter, qu’ils ne prenne pas la carte bleue, la chambre est à régler à l’avance. Je vais découvrir grâce à ça, concrètement le principe de transfert d’argent via MoneyGram. Il m’est déjà arrivé d’en envoyer, mais jamais de réceptionner. Ça a été d’une galère… Entre les problèmes informatiques et le manque de liquidités qui obligeait ma mère à faire plusieurs transferts.

Avec du recul, je crois que retirer du liquide que ce soit à la banque ou via transfert a été la chose la plus chronophage de tout mon séjour.

Atelier de couture de Bangui

Avant de partir, j’ai demandé à mon cousin Bertrand de trouver un atelier de couture à Bangui qui soit semblable au mien afin que je puisse comparer. C’est à dire, qui fait de la production en série pour les professionnels et si possible avec un service pour les particuliers.

Il a réussi à trouver une entreprise à Ben-Zvi nommée « Couture Haute Gamme » tenu par Junior qui a eu la gentillesse de me recevoir ainsi que répondre à toutes mes questions, avec beaucoup bienveillance et d’humour. Pour éviter de l’influencer, je ne lui ai pas dit ce que je fais dans la vie, je me suis présentée uniquement avec la casquette créatrice de mode.

Son atelier fait à tout casser, 8 m² (voir moins), et il emploie une équipe de 5 hommes, tous pères de familles. Le travail est pour des professionnels béninois, principalement et également pour des particuliers. Il y a 4 piqueuses plates industrielles, une mini table de coupe, un fer à repasser qui pour des raisons de sécurité aurait été jetée en France (fil électrique dénudé), et 2 surjeteuses à l’extérieur par manque de place.

Je trouve ça drôle parce qu’en France les métiers de la mode, c’est plutôt un univers de femmes alors qu’en Centrafrique, c’est un métier d’homme. Je fais la remarque à Junior qui me répond en sango, que je vous traduis :

« Une femme ne peut pas faire ce métier, elle ne peut pas tenir le rythme d’une production. La place de la femme, c’est à la maison. »

Autant vous dire que Bertrand et moi étions gênés, on a sourit, mal-à-l’aise, en se regardant du coin de l’œil.

Malgré ses propos forts tendancieux, en toute sincérité, Junior n’en est pas moins qu’un homme très ouvert. Je suis sûr à 300 % qu’avoir une simple discussion avec lui, peut le faire changer d’avis. Ce ressenti sera confirmé, quelques jours plus tard, où il va m’autoriser à utiliser une de ses machines, afin de me confectionner une jupe coupé-cousue.

Malheureusement, il n’était pas présent pour me voir à l’œuvre, néanmoins, ses salariés pourront le lui raconter.

Les tailleurs du marché central de Bangui

Mon tour d’horizon, ce n’était pas que pour voir des professionnels semblables à mon profil.

Nous nous sommes rendu également au marché central « là où travaille les petits couturiers » d’après Bertrand. Le marché regroupait 3/4 tailleurs à leur compte. Ils sont équipés de machines à coudre à pédales manuelles, Singer, une petite table de coupe qu’ils se partagent et d’un fer à repasser à charbon.

Ici c’est plus compliqué, il m’ont réservé un bon accueil, mais je ne suis pas restée longtemps, car ils n’étaient malheureusement pas disponibles pour répondre à toutes mes questions, et je ne voulais pas les retardés dans leurs travail.

Le collège-lycée technique féminin de Bangui

Étant donné que j’accueille et forme depuis plusieurs années des stagiaires et des apprentis, j’étais obligée de me rendre dans un établissement scolaire qui forme aux métiers de la mode.

Je ne pensai pas que ça allait être aussi facile de rentrer dans l’établissement. En comparatif, les lycées de l’agglomération grenobloise sont des forteresses.

Je me présente sous mon vrai jour à la cheffe de projet du collège-lycée technique féminin, Julie, qui me redirige vers la prof de couture. Celle-ci m’autorise à passer la matinée dans sa classe.

J’ai passé en tout 3h30, en toute sincérité, je n’était pas prête pour cette visite. J’ai failli pleurer à plusieurs reprises tellement, c’était trop pour moi. Nonobstant tout, je me suis retenue par respect envers ces jeunes filles, qui débordaient de joie et d’innocence.

Une salle de classe, surchargée au point où plusieurs filles sont obligées d’assister au cours debout. Il y en a même une qui va passer 2h30 avachie sur la table pour écrire le cours.

La prof connaît bien le métier, elle explique super bien, mais elle n’a pas de support et encore moins de pièce d’études pour montrer concrètement de quoi elle parle, elle doit faire des schémas au tableau. Elle a fait un cours sur la réalisation des fronces, les adolescente avaient du mal à comprendre ce que c’est sans échantillon, heureusement, ce jour-là, j’ai une robe qui en comporte ce qui lui permet de leur montrer ce que c’est.

L’établissement est équipé des mêmes machines que j’ai vues au marché central, des Singer à pédale manuelle (de très vieilles machines, qui sert de décoration en France). La prof m’explique que les machines n’ont pas de pièce de rechange, que la réparation est compliquée. Même avoir des aiguilles, c’est compliqué. La classe se partage en tout et pour tout, 2 paires de ciseaux pour toute la classe et ce ne sont même pas des ciseaux tailleurs.

Il y a des mannequins qui prennent la poussière dans le fond de la classe, qui ne sont jamais utilisés parce qu’elles ne font pas de moulage.

La prof à l’extrême gentillesse de littéralement me faire un cours d’histoire sur le pays, depuis les années 60 jusqu’à aujourd’hui. Ainsi que sur le marché du textile centrafricain. En bonus, elle me donne également plusieurs conseils pour faire aboutir mon projet.

Un énorme merci à elle d’avoir prit le temps à la fin de son cours, pour m’instruire.

Le Centre Artisanal de Bangui

Il y a un lieu qu’il me tenait à cœur d’aller visiter pendant mon voyage, c’est le Centre Artisanal de Bangui, avec pour mission d’acheter un tableau pour le propriétaire de mes locaux professionnels, car il me semble être un amateur d’art. Tellement j’ai acheté une valise, pour être sûre que, peut importe le tableau que je choisirai, il pourra être protéger sur le chemin de retour.

Lors de la visite, je ne savais pas où donner de la tête, tant il y avait de choses à découvrir, des sculptures en bois d’ébène, dont ma mère m’a tant vanté la beauté, des tableaux fait avec des papillons qui, oh combien j’espère, n’étaient déjà plus de ce monde avant de finir encadrée, des peintures magnifiques…

Puis, mon regard s’est posé sur un magnifique tableau en noir et blanc, d’une femme de dos. C’est là que je me suis dit qu’il était parfait ! Mon propriétaire est un brin enjôleur, j’étais sûre que la magnifique silhouette de cette femme, allait lui plaire.

Et ce fut le cas, aux vues de l’émotion qui s’est dessinée sur son visage, lorsqu’il a découvert la toile.

Malheureusement, au moment où je poste cet article, le Centre Artisanal à péri dans les flammes le 24 février 2023. Toutes mes pensées et mes prières vont aux artistes, peintres, sculpteurs… qui créent des l’emploies et subviennent aux besoins de leurs familles.

Une immersion à Bangui La Coquette

Comme je vous le disais dans « Épisode 1 : Bangui le retour aux sources« , j’étais angoissée d’y aller. Bertrand ayant des obligations, je me retrouvais toute seule assez souvent. Étonnement, j’ai gardé en mémoire le centre-ville qui était a 20 min à pied de mon hôtel. Donc j’ai pu me débrouiller toutes seule assez facilement.

La chose qui m’a le plus frappé, ce sont les restaurants, je tenais impérativement à manger des plats de mon enfance et je ne sais pour quelle raison les plats typiquement centrafricains tels que le yabanda, kinda gozo ou encore le kanda goundja n’était pas proposé dans les cartes des restaurants.

Yabanda ti sousou

Légume centrafricain au poisson

Kinda gozo

Sauterelles

Kanda goundja

Feuilles de manioc cuit dans des feuilles de bananier

Je ne prétends pas avoir fait tous les restaurants de Bangui, mais quand même…

J’étais en mode touriste de base, donc je suis allée dans les restos « attrape touristes » et surtout ma remarque a été confirmée par la prof de couture (dans l’établissement il y a également une filière restauration). Pour pouvoir manger local, il faut aller acheté chez les commerçants au bord de la route.

Une angoisse ! Pas par rapport aux suspicions d’intoxication alimentaire, mais parce que je ne connais pas les chiffres en sango. Pour vous dire ma fille sait compter jusqu’à 10, alors que moi, je m’arrête à 5. Je pouvais me faire voler, sans pression… Mais ça n’a pas été le cas, à chaque fois, je demandais par WhatsApp à Bertrand, de me traduire le prix pour vérifier la monnaie.

La relation entre la France et la République Centrafricaine

Ça été compliqué de recueillir les propos de certains habitants à propos de la France. Ça m’a fait mal au cœur, d’entendre ce qu’ils penses de mon pays d’adoption, car l’image qu’ils ont, ne correspond pas à celle que j’ai.

Au vu des informations que j’ai recueilli il m’est compliqué de dénouer le vrai du faux. De ce que j’ai compris, de leur point de vu, c’est que beaucoup de promesses ont été faites, mais personne n’a vu les projets aboutir. Et si tel est le cas, je ne peux que comprendre leurs frustrations, moi-même, j’ai horreur des fausses promesses.

J’aimerai vous en dire plus concernant mon séjour, mais 2 semaines à résumer en quelques lignes, c’est difficile. D’autant plus que, comme je vous le disais au début de cet article, poser des mots pour vous raconter mon séjour s’avère compliqué. Je vous laisse sur ses quelques phrases. Vous pouvez dès a présent lire « Épisode 3 : Bangui, mon retour aux sources » dans lequel je vous donne mon ressentie.

En attendant, à vos ciseaux et bonne lecture !