Le wax, une histoire de coutume et de mariage

En octobre 2018, j’avais fini mon switch B2C > B2B, lorsqu’une cliente me contact via Facebook pour son mariage. Dieu seul sait que ce n’est vraiment pas le bon moyen ! Je lui réponds quelques jours plus tard, elle m’explique brièvement son projet. Je lui propose un rendez-vous au salon de thé «Le Chardon Doré».

Le wax, une tradition qui se perpétue

Elle est métisse, d’une maman française et d’un papa camerounais. Son souhait ? Faire honneur à ses racines camerounaises, en perpétuant la tradition de la dot, dont une partie est généralement composée de tissus wax. Un projet qui me séduit, et ce même si je ne travaille plus pour les particuliers.

Quand on me parle de mixité culturelle, je suis là, sans forcer.

Elle connaît mon travail en tant que styliste et tient impérativement que ce soit moi qui l’habille mais pas que… il y a également son futur mari, ses 4 enfants, sa maman, sa belle-mère, ses soeurs, ses beaux-frères, ses copines… Oui ! La liste est longue… très longue…

🎶Calme-moi, je reste assise, ça va bien se passer. Dis-moi qu’on n’est pas pressé.

Elle se marie dans 9 mois, on est large, mais… ça reste un challenge !

Elle a déjà le wax, 9 pagnes soit 54 yards (environ 50 mètres). Elle sait ce qu’elle veut. Elle est venue avec le tissu, des photos de l’esprit et de l’univers de ce qu’elle souhaite pour elles et ses invités. Elle est au top !

Elle me confie également qu’elle aurait souhaité permettre à la totalité de ses invités d’avoir son tissu. Cependant, elle a conscience que c’est impossible au vu de la quantité et me fait une liste de personnes prioritaires.

Bien que je lui fasse des propositions de vêtements et d’accessoires lors du 1er rendez-vous, je lui demande de me laisser quelques semaines pour que je puisse peaufiner les détails et lui faire le devis. En parallèle, on voit comment on peut s’organiser pour les prises de mesures et tutti quanti.

Au vu de la taille du projet, il y a clairement moyen de faire du lourd !

 

Comment utiliser le wax pour un mariage ?

 

  • Elle veut une robe sirène toute en wax, avec un foulard pour pouvoir attacher. Elle l’aura
  • Pour son homme, ce sera une chemise en lin et wax
  • Ses filles auront des robes de princesse en wax et tulle
  • Son fils, la même chemise que papa en version enfant
  • Les femmes ça sera au cas par cas, selon les désirs de chacunes et en tenant compte de leurs personnalités. Il y aura de tout : robes, jupe à godet, mini-jupe, maxi jupe, bustier, combinaison-bustier… soit tout en wax soit avec du satin de duchesse, de la toile ou du sergé de coton, un immense éventail de matières !
  • Les hommes auront des chemises en lin et en wax, un modèle unique et différent de celle de son futur époux
  • Les personnes secondaires ont eu droits à des accessoires comme des cravates, pochettes, boutons de manchette, noeuds papillon, bracelets, broches… No limit ! Du moment qu’il y a des chutes à upcyclées, c’est le champ des possibilités !
  • Pour n’oublier personne et offrir à chacun une touche associée au thème : réalisé le tulle à dragées en tissu wax et coton, ils pourront les réutiliser comme napperon

Durant le rendez-vous, j’ai compris qu’elle avait du mal à se projeter. Je prends le temps de lui faire des croquis, pour les accessoires, je lui fais des prototypes et commande des échantillons comme ça, c’est concret.

Je lui présente toutes mes idées, elle adhère à tout. Vient le moment où il faut parler budget, elle trouve mes tarifs corrects et ne négocie pas. Néanmoins, on doit optimiser un max pour qu’elle puisse financer. On prend le temps ensembles de trouver des solutions et on en trouve assez facilement. On réduit le nombre de tulle à dragée en partant du principe 1 par couple, quelques personnes passent en accessoire au lieu d’un vêtement… On tombe d’accord pour faire en tout 210 pièces (toutes pièces confondues).

À ce moment-là, je me dis, c’est possible de pousser encore plus loin en lui faisant des étiquettes spécialement pour son mariage. Elle adhère encore, je vous jure si toutes les collaborations se passaient comme ça,ce serait merveilleux !

On est février 2019, les mesures sont prises, je me suis entretenue individuellement avec chaque invités.ées, j’ai cerné leurs personnalités et leurs envies. Il n’y a plus qu’à se mettre au travail, les rendez-vous s’enchaînent, on affine chaque vêtements au fur et à mesure. Tout va bien dans le meilleur des mondes.

Un motif de tissu qui se réinvente

Le motif, je l’aime bien, mais je le sens autrement. Je veux que lorsqu’on voie un de mes vêtements pendant la célébration, que l’on comprenne au premier coup d’œil que c’est moi et pas un autre créateur qui l’a fait.

Dans la coutume, le tissu est distribué dans toute la famille et chacun va voir son tailleur pour faire faire ça tenu pour le jour J.

Je décide de retravailler complètement le motif pour en créer un nouveau. J’adore la symétrie alors je pars sur ce principe, tout en essayant de faire coïncider les motifs pour donner l’illusion qu’il n’y a pas de découpe. Ça me rajoute une difficulté, mais qui a dit que je voulais que ça soit facile ?

Ça plaît ou ça ne plaît pas ?
Elle adhère, à tel point qu’au fur et a mesure des essayages elle à l’œil pour repérer quand il n’y a pas un raccord, j’aime ça… Parce que ça veut dire que j’ai bien fait mon travail quand j’ai expliqué ma démarche.

Organiser un mariage enceinte

Le lundi 22 avril, je me lève pour aller donner mon cours de couture à la Maison des habitant-es de La Ponatière, je ne me sens pas bien néanmoins, je force. En chemin, ça ne va pas du tout, je décide d’appeler pour prévenir de mon absence et prends rendez-vous dans la foulée chez le médecin. Elle me met en arrêt pour 4 jours, il semblerait que je souffre d’une rhino. Ok ! Why not ?

Je travaille depuis chez moi, en dehors des cours que je donne donc je pourrai toujours faire 2-3 choses. Que nenni, une semaine où je suis dans le down complet, je me retrouve à devoir reprendre rendez-vous avec mon médecin. Mon arrêt est prolongé pour une semaine. À la fin de mon arrêt, ce n’est pas la forme, mais ça va, je peux tenir. Je reprends le cours de ma vie.

Les jours passent et je ressens de la fatigue. Au point que le lendemain de mon anniversaire, je m’endors littéralement à 11h en plein travail sur mon bureau alors que j’ai passé une superbe nuit. Là, je me dis qu’il y a un problème, en plus, j’ai un retard de 4 jours. En soi 4 jours, ce n’est rien du tout !

Néanmoins, par précaution, je décide le lendemain de faire un test. Vendredi, 7h45, je passe à la pharmacie. D’habitude, j’achète le test de grossesse Clear Blue Digital qui est très facile à lire mais sincèrement lâcher +14 €, en plein milieu de mois, clairement pas envie. J’avais opté pour un test à 2,75 € avec les barres. Je fais le test dans les toilettes de la Maison des habitant-es Essarts-Surieux, quelques minutes avant de commencer mon cours. Grossière erreur !

la première barre s’est tout de suite affichée, une deuxième était plus ou moins là… Soit, je n’avais pas envie d’accepter la réalité soit, j’avais du mal à réellement comprendre la notice. Dans tous les cas, je décide d’appeler une amie qui a l’habitude de ce type de test et lui explique brièvement la situation. Elle me propose de lui envoyer une photo, je m’exécute.

Elle me dit avec la plus grande délicatesse dont elle seule a le secret : “Ma chérie, tu es enceinte”.
Dans la foulée, je me mets à pleurer comme je n’ai jamais pleuré, dans ma tête rien ne vas plus. Comment je vais faire ? Ce n’est pas le moment ! J’ai des projets, mon entreprise est en pleine croissance, y a tout qui se mets en place pour moi, ect. Pour faire simple, je panique.

Au final, elle arrive tant bien que mal à me calmer et je commence mon cours. Cependant, je ne fais que pleurer, mes élèves toutes des mamans, qui soi-disant passant n’ont eu de cesse que de me souhaiter la maternité depuis des mois. Autant vous dire qu’elles ont réussi !

Elles voient que je ne vais pas bien et me suggèrent de terminer plus tôt. Au départ, je suis réticente, au fur et à mesure des minutes, c’est juste intenable alors j’accepte de finir à 11h au lieu de 11h30. Pour me rendre au planning familial, à la rencontre de professionnels.

Je ne rentrerai pas dans les détails du cheminement concernant le choix de garder, ou procéder à une IVG, car c’est une réflexion bien trop longue, complexe et personnelle. De plus, cela ne me concerne pas uniquement, et malgré tout ce que je peux penser concernant le père de ma fille, j’éprouve un profond respect et de la gratitude à son égard. Retenez simplement que nous ne sommes plus ensemble depuis les 2 premiers mois de grossesses, après 10 ans d’une relation compliquée où nous nous sommes aimés.

Entrepreneuse et maman

C’est une période assez particulière pour moi, pour tout vous dire, je perds pied et cela va avoir un impact direct sur le projet de Mégane, ma mariée. Les désagréments liés à la grossesse se sont multipliés depuis l’annonce. Je me renferme sur moi-même, je ne réponds plus à mes clients, je m’éloigne de mes proches.

On est fin juin, j’ai accumulé 1 mois et demi de retard sur le projet mariage. Là où de nombreuses personnes auraient décidé de me laisser, elle a fait le choix de rester malgré le risque. Je ne pourrais pas vous raconter dans le détail tout ce que Mégane, et sa maman Marie, ainsi que ses proches, ont fait pour moi, tant c’est merveilleux.

Normalement, c’est mon rôle de rassurer la mariée et au final, ça a été tout le contraire. Ce fut un consensus de femmes de toutes les générations et de tous les horizons qui m’ont épaulée avec des points de vue totalement différents face à la maternité, toujours avec bienveillance. Ce qui m’a permis de me remettre debout et de reprendre le projet, plus déterminée que jamais.

Chose très importante à savoir, les médecins souhaitent à ce moment-là m’arrêter, à cause de diverses complications qui ont très rapidement pointé le bout leur nez. Cela a dû contribuer fortement à ce que je perde pied, mais il en était hors de question ! Je ne voulais pas, ne pas terminer ce projet.

Entre malaises, fatigues, troubles hormonales et vomissements, si on devait m’attribuer un surnom durant ma grossesse : « Vomito » aurait été parfaitement adapté. Mais je confectionne, je confectionne… dans les courtes phases d’accalmies. J’ai, à ce moment-là, la chance d’avoir à mes côtés une jeune fille adorable qui après un stage au mois d’avril 2019, est devenue ma première salariée, elle m’épaule un maximum dans la mesure de ses moyens. On avance, on avance…

Au final, on arrive à sortir en tout plus de 180 pièces sur les 210 commandées. L’histoire ne dira pas si nous avons atteint ou non la totalité de la commande. Nous avons perdu le compte à un moment donné pour les petits accessoires. Pour vous donner une idée du niveau de l’intensité du rythme à tenir, je termine la robe de sa maman le jour J et la lui apporte à la mairie de Grenoble.

Le pouvoir de la gratitude

Tout au long de la fête qui a lieu au Château du Touvet, ils m’envoient les photos. C’est là, du fond de mon meilleur ami, le canapé que je réalise ce que vient de faire. Au final, leur mariage devient ma Fashion Week, quelle fierté d’avoir contribué à ce si beau jour, qui restera gravé dans leurs mémoires !

Quelques jours plus tard, j’ai rendez-vous pour l’échographie des 4 mois, j’apprends que c’est une fille. La nouvelle tombe, je suis dans l’obligation de m’arrêter immédiatement, sinon, je mets en péril la vie de mon enfant. J’accepte le diagnostic, je ne peux pas m’opposer à la nature indéfiniment. Je lève le pied pour terminer tranquillement ma grossesse qui est qualifiée de “grossesse à très haut risque”, par le personnel médical du CHU de Grenoble.

Je remercie infiniment Mégane et tous les membres de sa famille, qui ont été un pilier dans ce chapitre de ma vie, et que je me remémore avec beaucoup d’affection aujourd’hui. Nous avons tellement partagé ! Bien plus qu’une simple relation client. Elle a rencontré ma maman, qui lui a appris à attacher le foulard pour son mariage et elle a réussi. Quel magnifique moment, un savoir-faire qui se transmet de mères en filles et se perpétue de générations en générations.

Pour la petite anecdote, Mégane s’est tatoué le pagne retravaillé par mes soins en souvenir de ce jour, par le tatoueur «Le Tatoueur Roux». Plus gratifiant que ça, il n’y a pas. Puissent-t-ils tous vivre très heureux, au sein de leurs foyers !

En attendant, à vos ciseaux et joyeuse Saint Valentin !